Pinkunicorn
Lurker
Il laisse d’innombrables traces sur les réseaux sociaux. Il prend en amis tous ceux qui ont un chien. Il demande rapidement s’il est "entier", comprendre non castré. Et, en dix minutes seulement, il fait dériver la conversation vers la zoophilie.
Habitant de La Machine depuis juillet, l’homme de 25 ans jugé, mardi 2 avril, en correctionnelle, à Nevers, pour "atteinte sexuelle" et "sollicitation d’atteinte sexuelle sur animal", explique avoir découvert ces pratiques en cliquant sur un "pop-up" d’un site pornographique en 2019.
Il plonge dans la fange et télécharge cinq cents vidéos et deux mille photos sur des smartphones ne lui servant qu’à ça. Il est aussi très présent sur "Emprunte mon toutou", une application mettant en relation des propriétaires de chien et des personnes proposant gratuitement de les garder.
Ces "passionnés", selon les termes de l’entremetteur canin, les promènent ou s’en occupent tout un week-end, parce qu’ils les "adorent", mais "ne peuvent pas en avoir chez eux". La "passion" du prévenu serait d’un autre ordre…
Ce qui l’amène là
Il est poursuivi, en premier lieu, pour avoir proposé à une femme résidant en Corse de l’initier aux relations sexuelles avec son chien. "Tu pourras essayé si tu veut, je t aiderai", lui écrit-il en 2022. Malgré son dégoût, elle prolonge les échanges, afin de réunir assez d’informations sur son interlocuteur. Elle parvient à l’identifier et dépose une plainte.Le prévenu déménage régulièrement, change souvent de numéro. Le dossier voyage de parquet en parquet. Les gendarmes de Sancerre sont les premiers à réussir à le contacter. Mais il ne se rend pas au rendez-vous. C’est alors qu’un second fait est porté à la connaissance des autorités.
Un collègue du prévenu, dans l’emploi qu’il tient dans le Cher en 2023, est embarqué dans une conversation où suintent les idées zoophiles. Il tente de le raisonner. Sans succès. Les photos arrivent. Sur l’une d’elles, il croit reconnaître le chien d’un ami et le prévient. En effet, ce Nivernais a confié au Machinois son berger australien d’un an par le biais d’"Emprunte mon toutou".
Ce qu’il reconnaît
Le prévenu emmène le chien en promenade au bord de la Loire. Mais pas que…"À quel moment ça dérape ?", lui demande le président d’audience, Valentin Mesbah.
"J’étais sur mon lit. Il est venu sur moi, pour jouer. Je l’ai caressé…
— Où ?
— Sur le ventre.
— Et plus bas ?
— Oui. Je… je l’ai masturbé.
— Pourquoi ?
— Ce n’était que de la curiosité."
Ce qu’il dément
Les sept associations de protection des animaux, parties civiles dans l’affaire, ont épluché la vie numérique du prévenu. Elles pensent qu’il n’a pas fait que relayer des contenus. Il aurait pratiqué à maintes reprises la zoophilie et utilisé "Emprunte mon toutou" comme un prédateur sexuel."Je lui ai fait du bien", écrit-il, en parlant d’une chienne, et "le mâle m’a monté", ajoute-t-il au sujet d’un chien. "C’étaient des mensonges, tout ça", répète-t-il à la barre. Il possède un patou, saisi par les gendarmes et confié à un refuge. Il jure ne jamais en avoir abusé.
Les enquêteurs revoient chaque signalement, scrutent chaque image. Impossible de prouver que le prévenu a commis davantage que les deux faits pour lesquels il est jugé à Nevers. Pour le berger australien, il y a un bout de mur caractéristique qui le confond en arrière-plan. Pour le reste… classements sans suite.
Ce qu’il en pense
"Aujourd’hui, je me sens vraiment abominable.— Pourquoi ça ne vous est pas venu à l’esprit tout de suite ? L’attirance sexuelle était trop forte ? C’est l’isolement social ? C’est un mélange de tout ça ?
— Un mélange de tout ça."
Célibataire, sans relation sentimentale connue, nomade professionnel, il parle d’une "solitude qui a primé sur mon jugement". Mais il reconnaît aussi une attirance, "un peu comme un fantasme". Il se corrige vite : "Ça ne m’intéresse plus, maintenant". "J’ai pris conscience que je suis malade. Il faut absolument que je me soigne, que je comprenne pourquoi j’en suis arrivé là."
Ce qu’analyse l’expert
Devant le psychiatre, le prévenu évoque un passé traumatique de harcèlement au collège par "des bons élèves, donc forcément des anges, alors que moi, on ne m’a pas cru". Exclu pour un coup de poing sur l’un de ses persécuteurs, après des appels à l’aide sans résultat, il s’est "renfermé".
"Je suis très, très, très timide.
— Mais vous arrivez pourtant à nous parler, devant une salle pleine.
— Je me mets dans ma bulle et je me concentre sur vos questions.
— Sur les réseaux, vous n’étiez pas timide.
— Devant un écran, c’est facile."
Le psychiatre parle d’un acte "pulsionnel" et "isolé", entraînant une "forte dépréciation de soi-même". "Je me sens comme la bête noire de la société", lâche d’ailleurs le prévenu. L’expert conclut à une altération du discernement et voit sa volonté de comprendre, matérialisée par des rendez-vous mensuels avec une psychologue, comme un élément positif.
Ce qu’en disent les parties civiles
Maître Solène Sztajnberg se demande s’il est "encore nécessaire de rappeler qu’un animal est un être sensible". Maître Maryse Bierna parle d’"horreur absolue", pour des agissements "qui laissent forcément des séquelles". Maître Carole Boirin voit une évolution, depuis le zoophile limité et arriéré, frustré sexuellement et en contact avec des animaux de ferme, vers le zoophile post-moderne, intelligent, manipulateur et lié à ses pairs sur internet. "Attention, beaucoup de gens sont dans la détresse morale", dit-elle de l’isolement du prévenu, "et tous n’ont pas cette déviance sexuelle. Il faut que l’interdit soit fermement posé par la sanction pénale."Maître Caroline Lanty résume l’opinion de ses consœurs en parlant, pour toutes les poursuites non abouties, d’"histoire du chat et de la souris". "Il aurait eu, à l’entendre, une pulsion, un jour. Mais un fil se dessine sur un comportement beaucoup plus large et beaucoup plus dangereux."
Ce qui est requis
Axel Schneider, vice-procureur et ancien militaire qui a connu les charniers, se dit "assez aguerri sur l’horrible". "Et pourtant, j’ai trouvé ça difficilement soutenable." Il requiert deux ans de prison dont six mois ferme, sans s’opposer à une détention à domicile par bracelet électronique.La détention a déjà été sollicitée, après la garde à vue. Le parquet n’a obtenu qu’un contrôle judiciaire avec interdiction de nouveau contact avec un animal. Quatre jours plus tard, le prévenu était de retour sur internet pour proposer de promener gratuitement un toutou. "J’avais buté dans la gamelle de mon chien", justifie-t-il. "Je n’avais rangé aucune de ses affaires. Il m’a manqué…" Un amour véritable ? Un amour tendancieux ?
Ce qui est plaidé
"On vise, ici, à faire prendre mon client pour l’animal qu’il n’est pas", estime maître Nathalie Bouvier-Longeville, en défense. Elle veut ramener le dossier à "de justes proportions". "Il y a eu une forme d’excitation, mais il n’y a jamais pris de plaisir. Quand il dit 'Je suis zoophile' aux enquêteurs, c’est un appel à l’aide plus qu’un aveu."Elle parle notamment de son patou. "C’est son confident, son ami, il ne le voit pas comme un objet sexuel. Il m’a confié qu’il lui arrivait encore de lui parler, dans son appartement, alors qu’il n’est plus là." Elle insiste sur le rapport favorable du psychiatre, sur la recherche de réponses…