Que penser de la zoophilie pratiquée par certains d’entre nous ? À l’origine, le mot « zoophile » était platonique, dépourvu de tout caractère sexuel. Il signifiait « qui aime les animaux » (Victor Hugo intitula ainsi son journal de protection animale Le zoophile). Le terme évolua pour incarner l’attirance sexuelle d’un homme ou d’une femme pour un animal, même lorsqu’un partenaire humain est disponible – et cette précision est importante. Cette pratique est plus répandue qu’il n’y paraît. Selon Benoît Thomé, président de l’association française de protection animale Animal Cross, les sites de pornographie zoophile recevraient, en France, 1,6 million de visites mensuelles et l’on compterait 150 000 adeptes dans l’Hexagone. La tradition judéo-chrétienne condamne le « pécher de bestialité », considéré comme « contre nature », non par empathie pour les animaux, mais parce qu’il abaisse l’Homme à ce qui est considéré comme le plus vil : son animalité. La loi française considère la zoophilie comme un acte de cruauté envers l’animal et la condamne depuis 2004. Exercer des sévices graves ou de nature sexuelle, ou commettre un acte de cruauté sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Mais la position française n’est pas majoritaire. La Roumanie et la Finlande par exemple n’ont aucune loi répréhensive à l’égard de ces pratiques, et l’Allemagne ne s’est alignée sur la France qu’en juillet 2013. Le pays est resté longtemps très tolérant envers cette pratique. La vétérinaire française Marjolaine Baron, dans sa thèse La zoophilie dans la société. Quel rôle le vétérinaire peut-il tenir dans sa répression ?, raconte le coup de foudre de Michael Kiok, bibliothécaire allemand fondateur de l’association zoophile Zeta Organization, pour une éléphante croisée un jour dans un cirque : « Elle m’a regardé dans les yeux et j’ai tout de suite vu que c’était une femme charismatique. » Kiok possède alors une chienne du nom de Cessy, avec laquelle il a plusieurs rapports sexuels par semaine, et deux chats. Il participait à l’organisation d’un grand rendez-vous annuel dans le nord de l’Allemagne, où des centaines d’individus se livraient à des relations sexuelles avec des cochons, des chevaux, des moutons et des vaches. Au-delà des risques de maladies vénériennes chez l’homme et des lésions occasionnées sur les parties génitales des animaux, de tels actes soulèvent bien sûr des questionnements moraux. Si les « zoosadiques » prennent du plaisir à torturer les animaux pendant le coït, les zoophiles « classiques », eux, considèrent leurs pratiques sexuelles comme de véritables démonstrations d’amour et réfutent toute idée de sévices. Ils revendiquent une libération des mœurs et une orientation sexuelle « naturelle ». Le philosophe australien Peter Singer, connu pour ses positions en faveur de la cause animale, a un point de vue surprenant : il estime que la zoophilie devrait être tolérée si aucun mal n’est fait aux animaux. Selon lui, l’aversion pour la zoophilie est le fruit d’un spécisme irrationnel et de notre anthropocentrisme.
Mais quelle différence faire entre les accouplements subis entre animaux d’espèces différentes et la zoophilie ? Les animaux qui se livrent à ces « viols » interespèces ne désirent pas le partenaire soumis à leurs assauts. En d’autres termes, l’otarie mâle n’est pas attirée par le manchot empereur, pas plus qu’elle ne lui manifeste son affection en le pénétrant de force ; elle l’utilise comme un objet. L’être humain zoophile, lui, exprime une réelle préférence pour l’animal, qu’il trouve attirant, même lorsque des partenaires humains sont disponibles. Cela constitue à mon sens, une différence fondamentale : la zoophilie relève d’une construction mentale humaine et donc d’un trouble mental, tandis que les tentatives de saillies interspécifiques entre animaux résultent d’un opportunisme faute de mieux. Ce point est crucial car il balaie instantanément la défense des zoophiles brandissant le critère de naturalité. Cette pratique ne peut aucunement s’inscrire dans le cadre de la liberté sexuelle, puisque à la différence de l’otarie et du manchot, l’Homme a parfaitement conscience que l’animal dénué de parole n’est pas en mesure de donner son consentement de manière univoque. Et l’absence d’assentiment crée l’abus sexuel. Quand bien même l’animal rechercherait par lui-même une interaction sexuelle avec un humain (faute de mieux), l’homme ou la femme équipé(e) d’un cerveau normalement constitué a le pouvoir d’inhiber ses pulsions par des critères moraux, tandis que le premier, n’ayant pas construit de règles de morale collective, ne l’a pas. Enfin, parce que ses capacités destructrices et avilissantes sont terrifiantes, l’Homme, plus que n’importe quel autre animal, endosse une responsabilité nouvelle : celle de respecter les non-humains dans leur différence, en ne les affublant pas de ses propres vices.